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Le vin et la bande dessinée : nouvelle histoire d’amour ?
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Le vin et la bande dessinée : nouvelle histoire d’amour ?

En devenant le héros de nombreuses bandes dessinées à succès, le vin occupe désormais une place centrale dans le neuvième art.

Sylvain Ouchikh

 

En janvier dernier, le festival d’Angoulême – considéré comme le festival de Cannes de la Bande Dessinée – accueillait sa 47ème édition. Cet évènement a rassemblé, juste avant le confinement, du 30 janvier au 2 février, environ 250 000 personnes. Les ouvrages sur le vin n’ont certes pas reçu, à cette occasion, un prix distinctif, il n’en demeure pas moins que cette boisson des Dieux est aujourd’hui l’un des sujets les plus traités sous la forme de bande dessinée. Lors d’un entretien au quotidien Les Echos (daté du 11 septembre 2019), Vincent Montagne, président de Media-Participations et du Syndicat National de l’Edition l’affirmait avec enthousiasme : « La bande dessinée actuelle a élargi sa gamme d’expression, touchant tous les genres littéraires et faisant entrer le lecteur dans un monde plus complexe. On peut désormais faire comprendre Nietzche ou Zola à travers une BD ». Et donc, pourquoi pas le vin ?

 

Un univers complet

 

Le vin est un univers complet. « C’est un bon modèle pour raconter les histoires. C’est ce que nous avons réalisé à travers le Manga (les Gouttes de Dieu) mais aussi avec « Châteaux Bordeaux » » explique Jacques Glénat, le célèbre éditeur qui créa sa maison éponyme en 1969 alors qu’il n’avait que 17 ans. Le vin devient le sujet principal des fictions. Le héros est le vin. Or, c’est un fait nouveau car on ne le voyait jamais dans la BD auparavant. Il est désormais un prétexte pour raconter des histoires de famille. C’est ce que fit l’éditeur Glénat en lançant, en 2011, « Châteaux Bordeaux ». Près de 9 ans plus tard, 10 tomes ont déjà paru (voir encadré).

 

 

Le vin, ce héros

 

Grâce à des dessins réalistes, parfois métaphoriques ou poétiques, en couleur ou en noir et blanc, accompagnés par des textes ciselés comme certains passages de la littérature, les auteurs parviennent à retranscrire parfaitement les subtilités de cette boisson noble comme par exemple, dans le manga japonais « les Gouttes de Dieu ». La série a été diffusée et vendue déjà à plus de 4 millions d’exemplaires. Durant les 44 tomes, le vin n’est plus un simple liquide à boire mais il devient une personnalité avec une culture propre. La robe grenat ou blanche avec des reflets d’or des grands bordeaux s’inscrit dans presque tout le duel que se livre Shizuku (dégustateur hors pair, instinctif) et son frère adoptif Issei Tomine (rigoureux et austère) pour toucher un héritage constitué de 12 bouteilles les plus rares (les douze apôtres) dont de nombreux flacons dans différents millésimes bordelais. Lors de cette recherche initiatique, la psychologie rime avec la pédagogie.

 

La BD, faiseur de notoriété

 

En effet, lors des divers épisodes, le lecteur y apprend ce qui fait la spécificité des grands vins de Bordeaux comme ceux des 134 châteaux de l’Union des Grands Crus Classés de Bordeaux : l’art de l’assemblage, le vieillissement prolongé dans les chais, l’aptitude à affronter le temps avec une élégante désinvolture… Il se familiarise également avec les différents cépages principaux entrant dans la composition des nectars : le merlot, le cabernet sauvignon et le cabernet franc pour le rouge ; le sauvignon et le sémillon pour le blanc. A travers les déplacements et les dégustations des deux protagonistes, le lecteur pénètre à l’intérieur des châteaux. Il découvre l’envers du décor, les routes du Médoc, de Saint-Emilion, du Sauternais… Il n’est donc point étonnant que quelques propriétaires aient vu un jour débarqué dans leur château des amateurs, avec ce manga sous le bras car « y figurer, c’était mieux que d’avoir une belle note du critique de vin américain Robert Parker. Les Gouttes de Dieu ont eu un tel impact sur la notoriété des vins que j’avais régulièrement des appels des propriétaires bordelais. Ils voulaient se retrouver absolument dans l’intrigue car les répercussions commerciales étaient évidentes, notamment au Japon ou en Corée » assure Jacques Glénat.

Attirer un nouveau public

 

Ce mariage entre le vin et la BD est assurément une réussite. La BD attire un public qui n’était pas forcément au départ épris de cette forme d’art graphique. « Ce ne sont pas des lecteurs traditionnels de bande dessinée » affirme Eric Corbeyran, l’auteur bordelais de la série « Châteaux Bordeaux ». Un véritable succès de librairie puisque depuis le premier tome sorti en 2011 (on en comptabilise 10 aujourd’hui), 480 000 albums ont été vendus. « Le vin est un vrai sujet. On a plaisir à le traiter car il est d’une diversité incroyable. C’est un monde industriel, commercial mais tous ceux que j’ai rencontrés ont aussi du goût et de la passion. Dans « Châteaux Bordeaux », j’ai voulu traduire la difficulté d’exercer la profession de vigneron en montrant la naissance d’une vocation à travers le personnage d’Alexandra. L’action se situe à Bordeaux car c’est le vignoble le plus réputé dans le monde » souligne, avec enthousiasme, l’auteur à succès qui a déjà à son actif plus de 400 livres en 30 ans de carrière.

 

Eric Corbeyran avoue également que réaliser ces différentes BD sur cette boisson de Bacchus n’a pas changé sa façon de penser mais sa manière de vivre. Il est désormais un passionné de vin, à tel point qu’il a même fait construire une cave enterrée pour que ses flacons affrontent le temps avec sérénité. Le vin pourrait donc nous guider vers plus de bonheur, et pourquoi pas grâce à la BD en simplifiant son approche ? Les descriptions ennuyeuses des dégustateurs, avec un langage parfois abscons, sont subtilement remplacées par un dessin. Le lecteur regarde, sent, goûte et, au final, s’évade durant quelques planches. Des traits bien sentis suffisent alors à faire ressortir une émotion dans un simple petit carré. Cette approche rejoint la pensée de l’écrivaine et femme libre Sidonie-Gabrielle Colette qui déclarait avec justesse au début du XXème siècle : « N’éloignez pas les novices de la connaissance et du plaisir du vin par l’usage d’un vocabulaire réservé aux seuls initiés : parlez simplement de vos vins. » A méditer assurément !

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